Expérimentation animale, derrière les discours officiels rassurants, des chiffres en augmentation
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Les données statistiques sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques pour l’année 2016 – récemment publiées par le Ministère de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation – témoignent que le nombre d’animaux utilisés dans les procédures expérimentales continue de progresser en FranceUn constat désolant mais surtout qui questionne sur l’efficacité réelle du principe des 3R (Remplacement, Réduction, Raffinement), tel qu’il est mis en œuvre dans notre pays. La directive européenne 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques en a fait son pilier mais force est de constater que son application pose problème. En novembre 2019, la Commission européenne devra rendre un rapport sur la mise en oeuvre effective par chaque état membre des différentes recommandations figurant dans cette directive. Il conviendrait que l’ensemble des dysfonctionnements constatés donne lieu à une révision de celle-ci, via des amendements proposés par les eurodéputés.

Ce que disent les législations européenne et française

La directive européenne fixe des obligations pour les éleveurs, les fournisseurs et les utilisateurs d’animaux dits “de laboratoire”, les états membres de l’UE ayant la responsabilité de veiller à leur mise en oeuvre via leur législation nationale. Les projets utilisant des animaux doivent être soumis à une évaluation préalable, l’origine des animaux doit être connue, les conditions de détention et les méthodes de mise à mort sont également encadrées. Sont exclus de cette directive les invertébrés (mollusques, crustacés, insectes, vers, étoiles de mer, araignées, etc.), exception faite des céphalopodes.

Elle promeut le principe des 3R lequel recouvre trois catégories de méthodes dites “alternatives” :

  • Remplacement : méthodes non-animales, appelées aussi méthodes substitutives ou « de substitution »,
  • Réduction : méthodes permettant de réduire le nombre d’animaux (souvent des méthodes statistiques ou le partage de données),
  • Raffinement : méthodes moins douloureuses, moins  angoissantes ou moins « dommageables dans le temps ». Celles-ci incluent “l’enrichissement” des espaces de détention des animaux.

Ceci est d’ailleurs explicite dans l’article 47 qui indique que « les états membres veillent, au niveau national, à la promotion des approches alternatives et à la diffusion d’informations concernant celles-ci« . Point de vue qui est d’ailleurs soutenu dans la réponse de la Commission Européenne de juin 2015 faite aux organisateurs de l’initiative citoyenne européenne (ICE) « Stop vivisection » : « La Commission partage la conviction de l’initiative citoyenne que les essais sur les animaux devraient être progressivement supprimés ». Il est à noter que ces dernières années ont vu la validation de nombreuses méthodes de substitution in vitro et in silico et des développements prometteurs dans le domaine des tests réglementaires (toxicité, innocuité et sécurité des produits).

La directive européenne a été transposée en droit français par le décret n°2013-118 qui a entraîné une mise à jour du code rural notamment pour ce qui concerne les modalités d’agrément des établissements d’expérimentation animale et les conditions de délivrance des autorisations de projets. Il y est également défini le rôle et la composition des « comités d’éthique » qui valident les projets scientifiques utilisant des animaux. Ceux-ci sont composés au moins de 5 membres dont 3 d’entre eux pratiquent l’expérimentation animale. Aucune obligation n’est faite sur la présence d’experts en matière de méthodes alternatives : comment garantir la mise en place sur le terrain du “R” de « Remplacement », si la voix de la substitution n’est portée par aucune des parties ?

Ce qu’indiquent les chiffres publiés

La directive européenne impose à chaque pays une collecte et une publication annuelle d’informations quantitatives sur les animaux utilisés dans les procédures scientifiques. Sont exclus de ces chiffres les animaux euthanasiés sur lesquels sont prélevés des organes et des tissus à des fins scientifiques.

Muriel Obriet, référente expérimentation animale de la commission condition animale EELV a fait un travail de compilation et d’analyse des chiffres publiés sur le site du Ministère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation depuis 2010, sur la base des données correspondant à  l’année 2016 en France. Elle a pu notamment dégager des évolutions significatives. Ses conclusions sont les suivantes :

De plus en plus d’animaux sont utilisés à des fins scientifiques ou éducatives :
  • L’augmentation du nombre d’animaux utilisés à des fins scientifiques se poursuit (+7,5% en 2015 et encore + 0,9% en 2016).
  • Le nombre de primates non-humains est également en croissance continue (encore +11% cette année soit une augmentation de 93,8% depuis 2010).
Les méthodes substitutives ne sont pas mises en oeuvre dans des domaines où elles existent pourtant :
  • L’augmentation continue du nombre d’animaux utilisés pour l’enseignement et la formation (+ de 31 % en 6 ans) malgré l’évolution remarquable des méthodes pédagogiques n’utilisant pas d’animaux en témoigne.
  • L’utilisation d’encore 26 % des animaux dans le cadre des « obligations législatives ou réglementaires » (c’est-à-dire les tests de contrôle de qualité, de toxicité, d’innocuité des médicaments ainsi que d’autres produits et substances), bien que plusieurs méthodes alternatives aient été développées et validées dans ce domaine – démontre aussi l’absence de volonté des pouvoirs publics.
Les procédures appliquées aux animaux sont de plus en plus douloureuses :
  • On note l’augmentation majeure des procédures de « classe sévère » – donc très douloureuses – entre 2014 et 2016 (+97,50%) ainsi que l’augmentation des procédures de « classe modérée » (+30,70 %) tandis que les procédures de classe légère diminuent. Le Ministère de la Recherche doit s’engager à renverser cette tendance. Par souci de transparence, il faut que les appréciations rétrospectives – obligatoires selon l’article 39 de la directive pour les projets comprenant des procédures de classe sévère ou ceux qui utilisent des primates non-humains – soient publiées sur le site du Ministère via la mise à jour des rapports non techniques de projet (article 43 de la directive).
  • On note aussi l’augmentation spectaculaire du taux de « réutilisation » des animaux en 2016, ce qui démultiplie leur souffrance et leur stress, (99% des reptiles, 73% de singes marmosets, 67% des chiens et des chats, 51% des moutons…).
La directive européenne n’est pas respectée sur un certain nombre de points dont notamment :
  • Plus de 185 000 animaux sont nés dans l’UE mais non dans un élevage agréé (contrevenant ainsi à l’article 20 de la directive européenne) et le nombre des animaux provenant du « reste du monde » a augmenté de 165% entre 2015 et 2016 (ceci concerne 65% des macaques et 30% des chiens par exemple) ce qui peut nous interroger sur la préoccupation de la bientraitance des animaux de la part des pouvoirs publics et des utilisateurs. Pour ces animaux, aucun contrôle n’est possible, ni de leurs conditions d’élevage, ni de leurs conditions de transport.
  • 49 primates non-humains (macaques et singes rhésus) ont été utilisés illégalement dans le cadre de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle (contrevenant ainsi à l’article 8 de la directive européenne qui n’autorise aucune utilisation de PNH hors du domaine de la recherche).

En conclusion

L’ensemble des éléments ci-dessus confirment l’échec de la mise en œuvre du principe des 3R en France, autour duquel est centrée la directive européenne. On peut imputer plusieurs causes à cet échec. Tout d’abord, les comités d’éthique en charge de l’évaluation des projets utilisant des animaux ne présentent pas les garanties d’objectivité nécessaires. On peut aussi mettre en doute la volonté politique de contribuer activement au développement et à la mise en œuvre de nouvelles approches non animales ainsi qu’à une application rigoureuse de la réglementation en matière de bientraitance animale. Le « Raffinement » n’a pas de sens dans une procédure de classe sévère, de même la « Réduction » n’a pas de sens si l’on réduit le nombre d’animaux dans un échantillon mais que le nombre de projets augmente. Le seul « R » qui vaille est celui du « Remplacement » et c’est bien sur celui-ci qu’il nous faut concentrer nos efforts.
Et à cette fin, nous demandons :

  • La révision de la composition des comités d’éthique afin de garantir l’impartialité et la transparence des décisions. Nous préconisons qu’il soit composé pour moitié de personnalités qualifiées ne pratiquant pas l’expérimentation animale – dont un expert des approches ou méthodes substitutives – ainsi que d’un représentant d’une organisation nationale de protection animale.
  • La mise en place des sanctions effectives et dissuasives – telles que prévues à l’article 60 de la directive européenne – en cas de violation de la législation.
  • Une vraie politique de soutien des méthodes non-animales et/ou substitutives :
    • Initier des appels à projets pour le développement d’alternatives à l’expérimentation animale et soutenir les plus innovants par des financements publics.
    • Répartir de manière équilibrée les budgets entre les projets de recherche sur les approches ou méthodes alternatives et les projets utilisant des animaux.
    • Mettre en place dans les filières des sciences du vivant, des formations diplômantes (masters) spécifiques consacrées aux approches non-animales et, pour les chercheurs et enseignants, élaborer des parcours de reconversion.